Luce -- Rome

Vacances. Synonyme de liberté pour beaucoup, c'était exactement la même chose que l'école dans l'esprit de Luce. A peu de choses près, c'était les mêmes avantages et les mêmes inconvénients. Toujours. Et pourtant, elle avançait dans le campo imperatore comme dans les rues de Rome avec le même sourire aux lèvres. Toujours. Avec la même souffrance au fond du cœur. Toujours.
Vacances. Synonyme de soleil, en Italie du moins. Et pour ces vacances de Pâques, l'astre n'avait déçu les attentes de personne, et brillait en lançant sur la Terre des rayons mordorés. Rayons que Luce avait contemplés la veille au soir, accoudée au rebord de sa fenêtre, avec en bruit de fond les chuchotements excités de sa petite sœur et de sa meilleure amie, persuadées d'être discrètes. Sur un dernier regard au soleil qui disparaissait à l'horizon, elle s'était glissée dans ses draps et contre le torse de Somnus.
Vacances. Synonyme de grasse-matinée pour la plupart des jeunes esprits. Pour Luce aussi, en théorie. Pourtant lorsqu'elle se réveilla le lendemain matin, l'oreiller encore humide des larmes qu'elle avait versées pendant la nuit, il était encore très tôt. Trop tôt. L'aurore était à peine là, nimbant le ciel nocturne de lueurs rosées. En théorie, elle aurait dû se tourner de l'autre côté, et se rendormir. En théorie. Elle tergiversa un instant, puis se leva et s'étira comme un chat.
Vacances. Synonyme de masse de travail en plus pour les parents dont les enfants étaient en internat. Luce ne voulait pas être un poids. Elle était une plume, un rayon de lumière. Elle se lava et s'habilla donc, puis descendit les escaliers à pas de kneazle et commença à agiter sa baguette pour faire silencieusement le ménage, nettoyer les reliefs des en-cas nocturnes des inséparables. Quand la pièce eut retrouvé une apparence nette, l'aurore avait cédé sa place à l'aube, et elle préparait à présent le petit déjeuner. Capuccino préparé avec l'assurance que confère l'habitude pour ses parents, jus d'oranges pressées à la main qui tachèrent son joli haut pour les filles. La pulpe aussi était légère.
Vacances. Synonyme de mouvement, de cris et de rires. Ces derniers emplirent la maison pendant toute la matinée, alors qu'elle tentait de réviser une partition. Tant pis. Elle la réviserait plus tard. Elle remettait sans cesse sa vie à plus tard. Tant pis. Elle aidait les autres à vivre, c'était l'important. Et elle ferait de la basse dans l'après midi peut être. Ou pas. Il fut décidé pendant le déjeuner que l'ainée emmènerait les scolari en balade. Un sourire apparut immédiatement sur ses lèvres. Elle allait pouvoir leur faire plaisir ! Elle leur payerait sans doute une glace chez Fredo, et elles feraient du lèche vitrine. Elle n'allait pas les gêner, elle était une douce plume. Tant pis. Elle penserait à elle plus tard.


Une petite heure plus tard – oui, les filles étaient pressées de sortir ! - elle avait changé son T-shirt taché de jus d'orange du matin pour un petit chemisier blanc suffisamment ouvert pour mettre sa poitrine en valeur, mais bien loin de l'indécence, qu'elle portait sur un jean. Par dessus, elle avait hésité un instant à mettre sa cape de sorcière jaune, mais lui préféra au dernier moment une petite veste moldue, noire et cintrée. Cela serait moins encombrant si elle devait l'enlever. La grande soeur vérifia que tout le monde était bien couvert – Dafne dut prêter une cape à Laura – puis donna le signal du départ. Elle les guida à travers la première partie du trajet en bavardant gaiement, puis, sentant bien qu'elle était indésirable, leur laissa du mou en prenant de l'avance une fois qu'elles eurent atteint le centre du quartier sorcier de la capitale. Là elles ne risquaient rien...
Mais finalement, à son grand plaisir, les deux enfant s'aperçurent qu'elle n'était plus à côté d'elles. Enfin... Laura, du moins. A son cri, Luce fit volte face, un peu alarmée. Mais ce n'était rien, elle était juste un peu vive, comme sa soeur. Ah, elles s'étaient bien trouvées, ces deux là ! Elle était contente pour elles. Elles étaient à la fois la copie conforme l'une de l'autre, et deux filles très différentes qui se complétaient donc à la perfection. Tant mieux pour elle, il fallait que ce bonheur-là persiste le plus longtemps possible. Qu'elles ne perdent pas ce lien, lien que Luce n'avait, pour sa part, jamais vraiment tissé. Non, elle avait beau être l'une des filles les plus populaires d'Aurora, jamais elle n'avait eu de meilleure amie. Mais... Ce n'était pas le moment de s'appesantir sur le sujet. Laura déboulait en courant vers elle, et elle l'accueillit avec un éclat de rire, suivit de ces quelques mots :
«  Désolée, je regardais cette vitrine. »

Et elle désigna ladite vitrine du menton. Puis, elle vérifia du coin de l'oeil que sa rouquine de soeur était bien partie pour les rejoindre avant de se remettre à marcher d'un pas tranquille, sentant avec délice Laura se rengorger à ses côtés. Oui, c'était mal, mais pourtant cela faisait du bien de se sentir admirée, parfois... Puis, quelques secondes plus tard à peine, la pile électrique à ses côté lui posa une question. Elle y répondit sans tarder, les yeux pétillant de gourmandise :

« Une glace chez Fredo, ça vous dit ? »

Mouais, par contre elle pouvait toujours courir pour avoir une réponse. T___T Dafne venait de débiter une série de potins à propos de gens dont Luce ignorait jusqu'à l'existence, et Laura semblait quant à elle fascinée par un groupe de personnes situé non loin d'elles. Machinalement, la jeune femme de dix neuf ans suivit son regard, et son visage s'illumina. Ses yeux bruns allèrent se planter directement dans ceux, d'un bleu pur, de Costantino, à plusieurs mètres de là. Un sourire fleurit sur ses lèvres rosées, puis elle trouva la force de baisser la tête et de répondre aux deux copines :

« C'est exact ! Allez, venez, on va dire bonjour. »

Et, sans plus attendre, elle plaça une main derrière le dos de chacune pour les pousser dans la direction du groupe de Di Lucciano. Elle relâcha cette légère pression au bout de quelques pas. C'était juste histoire d'impulser la direction. Une fois face à eux, une expression avenante sur le visage, elle s'exclama à la cantonade :

« Salut ! On peut vous embêter un moment ? »

Salutation générale, parce que elle risquait de s'embrouiller vu le nombre qu'ils étaient. Elle adressa just un sourire spécifique à Cesare, Speranza et Iris qu'elle connaissait un peu mieux. Elle se plaça alors aux côtés de Costantino, et glissa son bras sous le sien avec un naturel désarmant. Sans plus réfléchir, elle lui demanda d'un ton enjoué :

« Alors ? Toi aussi tu sors ta tribu ? »